"Faites le tri dans mes vêtements.
Enlevez toute étiquette sur laquelle il pourrait y avoir écrit mon nom, mon prénom et mon nom, juste mon nom, mes initiales, l’initiale de mon prénom et mon nom, mon prénom et l’initiale de mon nom.
Ne gardez aucun vêtement pour vous.
Mettez tout dans des grands sacs poubelle noirs et apportez les dans un point de collecte ou de recyclage.
Faîtes la même chose pour mes chaussures, mes sacs de voyages, mes bijoux, mes draps, mon linge, mes lunettes de soleil.
S’il y a des choses empruntées, rendez-les à leurs propriétaires.
Pour mes meubles, s’ils sont empruntés rendez-les à leurs propriétaires.
S’ils sont à moi, déposez-les dans la rue, quelqu’un en aura bien l’utilité.
Portez mes livres dans un point de collecte.
Toutes les pages que j’aurais griffonné, arrachez-les et brûlez-les.
Portez mes objets électroniques dans un centre de tri.
Si vous possédez des affaires à moi, surtout ne les gardez pas.
Faites de même, porter les en centre de tri.
Dans l’endroit où j’habite, jetez toutes mes photos, tous mes carnets, tous mes papiers dans une poubelle de tri. Brûlez mes papiers d’identité.
L’endroit que nous habitons ensemble, quittez-le.
Donnez-le ou résilier le contrat de location.
Dans tous les cas, n’expliquez rien.
Ne dites pas qu’il y eut ici de l’amour, des rires, des larmes et de la joie.
N’expliquez rien de la raison de ce don.
Si vous souhaitez le vendre, donner cet argent à des personnes dans la rues.
Pas celles qui parcourent les rues et s’y promènent, mais celles qui sont statiques, celles dont la crasse des trottoirs noircit les pieds , celles qui s’enracinent ici et y meurent. Donnez-leur et partez, sans explication.
C’est de vous dont on se souviendra, pas de moi.
Ne donnez pas cet argent à une association ou quelque organisation humanitaire.
Pas d’administration, pas de formulaire de don, pas de plaque commémorative, pas de fondation à mon nom, pas de post de remerciement sur une page facebook, de likes ni de partage.
A aucun endroit du globe, pas de stèle ni plaque commémorative, ni autel, ni fleurs. Aucun lieu dédié, sacré, monopolisé et occupé par ma mémoire.
Pas de ”lieu de recueillement”.
Résiliez tous les contrats que je pourrai avoir souscrits.
Demandez à facebook le retrait de mon compte, même chose pour Instagram.
Les photos que vous verriez sur lesquelles j’apparais, supprimez-les ou demandez à ce qu’on les supprime.
Fermer les pages auxquelles je suis liée, celles que j’ai créé, celles sur lesquelles j’apparais. Supprimez les groupes dans lesquels j’apparais.
Supprimez les conversations des groupes messenger et whatsapp.
Supprimez nos conversations sur votre téléphone, nos sms envoyés.
Effacez mon numéro de téléphone.
Supprimez mes mails, les mails dans lesquels j’apparais ou liés à moi, et vider la corbeille.
Videz mes comptes bancaires et de la même manière donnez l’argent à la rue.
Découpez ma carte bancaire et jetez les morceaux.
Faîtes de même avec toutes mes cartes, mes cartes “vitales” et mes cartes futiles, et jetez mon portefeuille.
Clôturer les entreprises, les associations, les organisations dans lesquelles je m’implique pleinement.
Puis jetez les papiers de la clôture.
Les petits objets, les petites choses, les brosses à cheveux, les élastiques, les plastiques, les cigarettes, les briquets, le maquillage, jetez-les.
Chez vous maintenant, dans le lieu où vous habitez, jetez toutes les photos que vous avez de moi.
Les photos de classe, les photos de vacances, les photos de travail, les photos de familles, les selfies, les photos d’amour, les photos d’identité.
Si nous sommes plusieurs à apparaître, vous et moi, moi et elle, lui et moi, d’autres et moi, découpez la partie sur laquelle j’apparais et brûlez cette partie ou bien brûlez la photo toute entière.
Jetez mes lettres, mes cadeaux d’anniversaire qui étaient pourtant pour vous.
Rayez toutes mentions de mon nom, de mon activité sur vos carnets.
Déchirez vos papiers sur lesquels j’apparais et jetez-les.
Ce qui vous fait penser à moi, les livres, les chansons, les films, les tableaux, les coins de rues, les paysages, ne les écoutez plus, ne les regardez plus, ne les lisez plus.
Entre vous, ne mentionnez plus mon nom.
A mon sujet, ne dites plus “tu te souviens de”, “tu te rappelles quand”, “j’aimais bien quand”. Ne parlez pas de moi.
Si vous aviez parlé de moi à une personne que je ne connais pas, peu ou mal, qui un jour demande de mes nouvelles, restez vague et changez de sujet.
N’évoquez plus notre passé commun, même s’il concerne plusieurs d’entre vous.
Ne vous souvenez plus des dates importantes, ne pensez pas à moi avec un sourire naissant ou l’oeil brillant.
Il ne restera alors que les registres d’état civil, les actes de naissance, les procès verbaux, les feuilles d’impôts, les informations salariales, les salles d’archivage, les registres d’hôpitaux, les mairies, les commissariats, les maternités, les inscriptions à l’université, les tribunaux et il faudrait tout brûler.
Pour bien faire il faudrait tout brûler.
Alors brûlez tout.
Ce sont là mes dernières volontés.
A vous de ne pas “salir ma mémoire”, vous savez ces choses qu’on dit, “salir la mémoire”. Avec tous ces efforts, de grands efforts j’en conviens, il ne restera de moi que quelques fragments en vous, des souvenirs subis que vous ne convoquerez pas et qui pourtant ressurgiront dans des moments inattendus.
Ce n’est pas grave.
Laissez-les passer.
Ces souvenirs se feront de moins en moins nombreux, de plus en plus ternes.
Et à votre tour, un jour vous emporterez avec vous en vous ces derniers débris de moi, les deux ou trois détails insignifiants qui persistent, quelques sombres réminiscences, et une fois la dernière personne partie, dans une centaine d’années tout au plus, enfin il ne restera rien. »